La première journée de cours était enfin terminée. Son père avait été assez gentil pour faire tomber la rentrée un samedi ; il avait annoncé la mauvaise nouvelle (ou la bonne, suivant les points de vue !) aux élèves dès leur arrivée et leur avait laissé le week-end pour digérer le fait qu'ils n'étaient pas dans une école de musique mais dans un centre de formation pour futurs agents secrets. C'était, en quelques sortes, faire preuve de considération pour les sentiments de ces pauvres jeunes - et elle n'en attendait pas tant de son géniteur.

Le lundi était malheureusement arrivé bien vite et, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils avaient été plongé dans la vie d'espion plutôt... violemment. Les cours commençaient à huit heures du matin pour se terminer à dix-neuf heures et Claire savait que ce serait comme ça tous les jours. Ils allaient devoir travailler encore et encore, ne jamais montrer qu'ils étaient fatigués ni qu'ils en avaient assez et surtout, exécuter les ordres de leurs chers professeurs sans broncher. C'était sans doute ce qui serait le plus dur pour elle. Elle connaissait ceux qui avaient revêtu la casquette de professeur pour Riverdale Camp parce qu'ils étaient des agents sous les ordres de son père et elle aurait du mal à faire comme si de rien n'était, à ne pas leur parler comme elle avait l'habitude de le faire et à se fondre dans la masse sans rien dire. Mais il le faudrait et peu importe les efforts qu'elle devrait faire pour y parvenir, elle y arriverait. Elle n'avait pas le choix.

Après ses neuf heures de cours, tous plus éprouvants les uns que les autres, la jeune femme décida de regagner sa chambre pour se reposer un peu. Elle n'avait pas envie d'aller au réfectoire. Premièrement parce qu'elle n'avait pas faim mais aussi - et surtout ! - parce qu'elle ne voulait pas croiser son père. Finalement, l'éviter sur cet espèce de "campus pour paysan" serait bien plus simple qu'elle ne le pensait. Elle n'avait qu'à éviter d'être seule et ne pas aller dans le réfectoire quand elle savait qu'il y serait aussi. Point.

Arrivée dans la chambre qu'elle partageait avec Tatiana et Ciara-June, Claire balança son sac dans un coin avant de se laisser tomber à plat ventre sur son lit, épuisée. Elle n'était pas sûre de pouvoir trouver le sommeil tant son cerveau était actif mais elle ferait son possible pour stopper le flux de pensées qui parcourait sa tête. Un peu repos, c'était tout ce qu'elle demandait. Elle se demandait vraiment comment certains de ses camarades avaient pu être heureux en apprenant la nouvelle. Comment Diable pouvait-t-on être content à l'idée de rejoindre la C.I.A. ? Ne voyaient-ils pas que c'était une manière sympa de dire "Salut les jeunes, j'ai l'honneur de vous annoncer qu'à partir de maintenant, vous allez devoir sacrifier toute vie de famille, servir votre pays que cela vous plaise ou non et risquer votre vie à chaque seconde ?"... Son discours n'avait été qu'un leurre. Un genre de mensonge destiné à habiller la vérité d'une jolie parure dorée, histoire d'attirer plus de monde dans ses filets. Son père avait présenté le métier d'espion comme quelque chose de cool alors que c'était à des milliers de kilomètres de la réalité. Elle espérait vraiment que les élèves qui avaient été heureux en écoutant son père avaient changé d'avis après cette première journée de cours. Elle savait que Tatiana, sa colocataire, semblait plutôt contente à cette idée et elle était impatiente de la voir arriver dans la chambre et de l'écouter lui livrer ses impressions sur cette initiation au métier d'espion.

Il était dur - mais vraiment très dur - pour Tatania de suivre autant de cours dans une seule et même journée, sans bouger, sans parler et en restant parfaitement attentive. Le lycée n'avait strictement rien à voir avec cette espèce formation, si on pouvait appeler ça comme ça, et après seulement une journée de cours, elle avait eu envie de rentrer. Mais bon, ça lui passerait. C'était certainement de la faute de son frère qui l'avait appeler pour lui rappeler qu'elle avait raté le mariage de William de Galle et Katherine Middleton. Le mariage de l'année. Blah blah. Personne n'avait pu suivre les noces en direct - et c'était tant mieux. Après tout, elle avait le même nom de famille que le Prince Philip, mari d'Elizabeth II. Elle pensait tellement à ce qu'elle devait caché que s'en était devenu une véritable obsession. Mais personne ne connaissait l'histoire d’Angleterre aussi bien qu'elle. Personne ne connaissait l'histoire de Russie aussi bien qu'elle. Alors il fallait qu'elle arrête de croire que tout monde allait la démasquer.

Elle fit un détour par la cafèt de l'école et dina rapidement avec quelques personnes qu'elle avait rencontré lors de la journée et rentra dans sa chambre avec l'envie de dormir. Mais bon, elle savait qu'elle allait tomber sur ses coloc - et que comme par magie, elle se transformerait en pipelette. Et comme prévu, lorsqu'elle entra, Claire, était là. Elle lui décrocha un large sourire avant de s'installer sur son lit.

- Alors, cette première journée ? demanda-t-elle distraitement. T'es pas venu manger ?

Mais Claire n'était pas la seule à ne pas s'être présentée au diner. En fait, la plupart de ceux qui n'avait pas accepter la nouvelle n'étaient pas venu - comme pour montrer leur mécontentement ou leur contrariété. Tatia ne savait pas vraiment comment prendre cette nouvelle. Agent double. Si on s'en référait à Jason Bourne, adieu la vie de famille mais c'était hors de question, ses parents en mourraient ou un truc dans le genre. Alors elle devrait faire autrement. Mais elle n'avait pas envie d'y réfléchir maintenant, elle était trop crevée pour se prendre la tête avec cette histoire. De toute façon, on ne leur avait pas laisser le choix alors...

Comme elle s'y était attendue, sa colocataire ne tarda pas à arriver dans la chambre et à la questionner sur cette première journée. Claire l'aimait bien, cette Tatiana. Elle était contente de partager sa chambre parce qu'avoir à supporter quelqu'un que l'on n'aimait pas 24h/24 aurait donné des airs d'Enfer au supplice qu'était déjà Riverdale Camp.

Bien élevée, Claire se redressa rapidement de manière à s'asseoir sur son lit, faisant face à sa camarade. Elle lui adressa un petit sourire courtois avant de hausser les épaules d'un air nonchalant. Cette première journée avait été horrible et elle priait de toutes ces forces pour que tout cela ne soit qu'un rêve. Ou un cauchemar, en l'occurrence. Elle avait envie de croire qu'elle se réveillerait le lendemain dans sa confortable chambre de sa maison d'enfance, qu'elle découvrirait que son père était encore parti pour une mission à l'autre bout du monde et que son grand frère veillerait sur elle pendant ce temps. Mais elle savait pertinemment que ce n'était pas vrai, qu'elle était bel et bien coincée dans ce foutu camp pour les douze prochains mois et qu'elle devait assister aux cours qui feraient d'elle un robot incapables d'éprouver le moindre sentiments humains, comme tous les autres agents secrets.

- Non, je n'ai pas vraiment faim... Et je crois que maintenant, je peux dire avec certitudes que je déteste cette école, répondit-elle d'un ton jovial, comme pour dédramatiser la gravité de la situation.

Dans le fond, elle avait toujours su qu'elle détestait Riverdale Camp. Elle détestait tout ce qui touchait de près ou de loin la C.I.A. et elle n'avait aucune envie de suivre le parcours professionnel de son père, aussi brillant soit-il. Mais avait-elle le choix ? Non, pas franchement. Elle était contrainte de suivre cette formation débile, même si rien ne l'obligeait à travailler pour les services secrets Américains après ça. Elle soupira doucement avant de regarder Tatiana avec attention. Et elle, alors ? Qu'avait-elle pensé de cette première journée harassante où ils avaient dû fournir un travail et une concentration sans précédent ?

- Et toi, toujours ravie à l'idée de jouer les espionnes de choc ?, sourit-elle gentiment.

Tatiana s'était laissée tomber sur son lit comme une masse. Du moins, c'est ce qu'elle avait tenté de faire mais son éducation l'avait rendu extrêmement gracieuse et elle n'était pas sur d'avoir réussi à imiter son cousin lorsqu'il voulait agacer ses parents. Non, je n'ai pas vraiment faim... Et je crois que maintenant, je peux dire avec certitudes que je déteste cette école. Whoa. Détester. C'était pas rien... En fait, Tatiana n'avait pas vraiment imaginé qu'on ne veuille pas être espion. Elle avait bien vu quelques personnes se rebeller mais de là à détester l'endroit... Bon, il fallait reconnaitre que la jeune femme avait une capacité adaptative assez impressionnante même si - Ô mon Dieu - son lit était vraiment inconfortable, elle allait survivre. Là, au moins, elle avait un lit.

- Pourquoi tu déteste ça ? demanda-t-elle alors, curieuse d'en savoir plus sur le caractère de sa colocataire, peut-être qu'elles pourraient être de bonnes amies alors bon... il fallait bien commencer par ce connaitre un peu - mais pas trop, malheureusement.

Finalement, Tatiana se redressa préférant se bousiller le dos sur ce lit, uniquement la nuit. La journée, elle aurait droit à tous les entrainements possible et inimaginable. En fait, elle était impatiente de voir ce que ça allait donner. Elle se sentait prête à apprendre. Pas à combattre ni rien, juste à apprendre. Chaque chose en son temps, nan mais oh. Et toi, toujours ravie à l'idée de jouer les espionnes de choc ? Tania haussa les épaules.

- Oh... Ravie, j'en sais rien. Curieuse de voir comment tout ça va se mettre en place, oui. J'ai toujours rêvé de dégainer une arme, lâcha-t-elle sur le ton de la plaisanterie avant de se mettre à rire. Non, sérieusement, j'ai pas d'avis tranché, pour l'instant, je prends ce qu'on me donne, je verrais bien ce qu'il se passe ensuite.

Claire haussa les épaules quand Tatiana lui demanda d'argumenter un peu plus le fait qu'elle déteste cette école. Que pouvait-elle dire ? Rien. Sinon elle risquerait malencontreusement de dévoiler son secret. Si elle commençait à lister les choses qui ne lui plaisaient pas à Riverdale Camp, le mot "père" sortirait tôt ou tard et sa colocataire ne mettrait pas longtemps à comprendre la vérité. C'était la dernière chose que Claire voulait.

Elle laissa donc la jeune fille répondre à sa question, admirant le calme avec lequel elle prenait les choses. Elle semblait relativiser et garder un optimisme sans faille alors que Claire, elle, en était complètement incapable. Elle se laissa tomber sur son lit et soupira fortement avant de croiser ses mains derrière sa tête, complètement épuisée.

- C'est toi qui a raison, admit-elle. J'aimerais bien être dans le même état d'esprit et me dire "je prends ce qu'on me donne", mais je n'y arrive pas. Apprendre à être agent secret, c'est bien la dernière chose que je voulais ! Et puis, je n'aime pas être prise pour une idiote. C'était censé être une école de musique, merde ! Et puis je n'aime pas être ici. Mon pays me manque. Et ma famille aussi. J'ai envie de rentrer chez moi.

Elle était parfaite dans son rôle de petite Française éplorée qui avait le mal du pays et qui ne voulait que faire de la musique. Mais, dans le fond, c'était bien plus grave que ça. Son père l'avait forcée à rejoindre ce qu'elle détestait le plus au monde. L'organisme qui lui avait pris sa mère et qui avait fait éclater sa famille en morceaux. Elle avait peur que l'histoire se répète et elle ne se laisserait jamais prendre au jeu de l'espionnage. Elle ne deviendrait pas agent secret, même après un an passé à Riverdale.